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HENRI V

Philippe-le-Bon, était le seul sincère ; il avait son père à venger. Mais sans doute aussi il croyait y trouver son compte ; la branche de Bourgogne grandissait en ruinant la branche ainée, en mettant sur le trône un étranger qui n’aurait jamais qu’un pied de ce côté du détroit, et qui, s’il était sage, gouvernerait la France par le duc de Bourgogne.

Il ne faut pas croire que Paris ait appelé facilement l’étranger. Il avait été amené à cette dure extrémité par des souffrances dont rien peut-être, sauf le siège de 1590, n’a donné l’idée depuis. Si l’on veut voir comment les longues misères abaissent et matérialisent l’esprit, il faut lire la chronique d’un Bourguignon de Paris qui écrivait jour par jour. Ce désolant petit livre fait sentir à la lecture quelque chose des misères et de la brutalité du temps. Quand on vient de lire le placide et judicieux Religieux de Saint-Denis, et que de là on passe au journal de ce furieux Bourguignon, il semble qu’on change, non d’auteur seulement, mais de siècle ; c’est comme un âge barbare qui commence. L’instinct brutal des besoins physiques y domine tout ; partout un accent de misère, une âpre voix de famine. L’auteur n’est préoccupé que du prix des vivres, de la difficulté des arrivages ; les blés sont chers, les légumes ne viennent plus, les fruits sont hors de prix, la vendange est mauvaise, l’ennemi récolte pour nous. En deux mots, c’est là le livre : « J’ai faim, j’ai froid » ; ce cri déchirant que l’auteur entendait sans cesse dans les longues nuits d’hiver.

Paris laissa donc faire les Bourguignons, qui