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HISTOIRE DE FRANCE

ambitions effrénées, devait poursuivre la fortune jusqu’au bout, jusqu’à la Grève[1]. Celui qui livra la Pucelle semble avoir senti sa misère ; il fit peindre sur ses armes un chameau succombant sous le faix, avec la triste devise inconnue aux hommes de cœur : « Nul n’est tenu à l’impossible. »

Que faisait cependant la prisonnière ? Son corps était à Beaurevoir, son âme à Compiègne ; elle combattait d’âme et d’esprit pour le roi qui l’abandonnait, Elle sentait que sans elle cette fidèle ville de Compiègne allait périr et en même temps la cause du roi dans tout le Nord. Déjà elle avait essayé d’échapper de la tour de Beaulieu. À Beaurevoir, la tentation de fuir fut plus forte encore ; elle savait que les Anglais demandaient qu’on la leur livrât, elle avait horreur de tomber entre leurs mains. Elle consultait ses saintes, et n’en obtenait d’autre réponse, sinon qu’il fallait souffrir, « qu’elle ne serait point délivrée qu’elle n’eût vu le roi des Anglais ». — « Mais, disait-elle en elle-même, Dieu laissera-t-il donc mourir ces pauvres gens de Compiègne[2]? » Sous cette forme de vive compassion, la tentation vainquit. Les saintes eurent beau dire, pour la première fois elle ne les écouta point : elle se lança de la tour et tomba au pied, presque morte. Relevée, soignée par les dames de Ligny, elle voulait mourir et fut deux jours sans manger.

  1. Voir tome VI, la mort du neveu de Jean de Ligny, le fameux connétable de Saint-Pol, qui crut un moment se faire un État entre les possessions des maisons de France et de Rourgogne, et fut décapité à Paris en 1475.
  2. « Comme Dieu layra mourir ces bonnes gens de Compieigne, qui ont esté et sont si loyaux à leur seigneur ? » (Interrogatoire du 11 mars 1431.)