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CHARLES VII. — HENRI VI

vie, et le milieu déjà passé, toutes les passions, toutes les pensées finissaient par graviter ensemble et aboutir à une seule. La science même, multipliant les idées et les points de vue, n’était plus alors qu’un miroir à facettes où la passion reproduisait à l’infini son image, se réfléchissant, s’enflammant de sa propre réflexion… Telles se rencontrent parfois les tardives amours des sages, ces vastes et profondes passions qu’on n’ose sonder… Telle, et plus profonde encore, la passion qu’on trouve en ce livre ; grande comme l’objet qu’elle cherche, grande comme le monde qu’elle quitte… Le monde ?… Mais il a péri. Cet entretien tendre et sublime a lieu sur les ruines du monde, sur le tombeau du genre humain[1]. Les deux qui survivent, s’aiment et de leur amour et de l’anéantissement de tout le reste.

Que la passion religieuse soit arrivée d’elle-même, et sans influence du dehors, à un tel sentiment de solitude, on a peine à l’imaginer. On croirait plutôt que si l’âme s’est détachée si parfaitement des choses d’ici-bas, c’est qu’elle s’en est vue délaissée. Je ne sens pas seulement ici la mort volontaire d’une âme sainte, mais un immense veuvage et la mort d’un monde antérieur. Ce vide que Dieu vient remplir, c’est la place d’un monde social qui a sombré tout entier, corps et biens, Église et patrie. Il a fallu pour faire un tel désert qu’une Atlantide ait disparu.

Maintenant comment ce livre de solitude devint-il

  1. App. 4.