Page:Michelet - OC, Histoire de France, t. 5.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
53
LA PUCELLE D’ORLÉANS

entreprenait. Tout le pays était couru par les hommes d’armes des deux partis. Il n’y avait plus ni route ni pont, les rivières étaient grosses ; c’était au mois de février 1429.

S’en aller ainsi avec cinq ou six hommes d’armes, il y avait de quoi faire trembler une fille. Une Anglaise, une Allemande, ne s’y fût jamais risquée : l’indélicatesse d’une telle démarche lui eût fait horreur. Celle-ci ne s’en émut pas ; elle était justement trop pure pour rien craindre de ce côté. Elle avait pris l’habit d’homme, elle ne le quitta plus ; cet habit serré, fortement attaché, était sa meilleure sauvegarde. Elle était pourtant jeune et belle. Mais il y avait autour d’elle, pour ceux même qui la voyaient de plus près, une barrière de religion et de crainte ; le plus jeune des gentilshommes qui la conduisirent déclare que, couchant près d’elle, il n’eut jamais l’ombre même d’une mauvaise pensée.

Elle traversait avec une sérénité héroïque tout ce pays désert ou infesté de soldats. Ses compagnons regrettaient bien d’être partis avec elle ; quelques-uns pensaient que peut-être elle était sorcière ; ils avaient grande envie de l’abandonner. Pour elle, elle était tellement paisible qu’à chaque ville elle voulait s’arrêter pour entendre la messe. « Ne craignez rien, disait-elle, Dieu me fait ma route ; c’est pour cela que je suis née. » Et encore : « Mes frères de paradis me disent ce que j’ai à faire[1]. »

La cour de Charles VII était loin d’être unanime en

  1. « Sui fratres de paradiso. » (Déposition de Jean de Metz.)