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CONQUÊTE DE LA LIBERTÉ RELIGIEUSE

naissance des bienfaits de Dieu, j’ai préféré le salut de la religion à mon propre sang et sacrifié ma chair et mon unique fils. » Que devint don Carlos ? Les historiens espagnols assurent qu’il mourut naturellement.

Toute la vie de Philippe II paraît un sacrifice. Renfermé nuit et jour, ne voyant rien que ses papiers, ne présidant pas même son conseil, ne communiquant jamais que par écrit, vit-il réellement ? On en douterait sans les notes de sa grosse écriture qu’on trouve sur les dépêches. Cependant ce fantôme a une femme, une jeune Française, qui se meurt de mélancolie.

Madrid, sur sa plate plaine grise, était trop gaie encore. Dans un paysage sinistre, propre aux gibets ou à l’assassinat, parmi des rochers désolés, s’est élevée en dix ans la maison de plaisance du roi d’Espagne, l’Escurial, palais, monastère et sépulcre, où il doit s’enterrer vivant. Ses hauts murs de granit, surplombant des cloîtres étroits, des fontaines sans eau et des jardins sans arbres, ont déjà étonné, en 1565, le comte d’Egmont. C’est de là que Philippe II, en 1566, écrit lettre sur lettre pour hâter le supplice du comte. Le duc d’Albe répond (13 avril) qu’il ne peut pas aller plus vite, qu’il faut bien, pour l’honneur du roi, quelque forme de justice. Mais le soir du même jour, craignant en bon courtisan d’avoir mécontenté le roi, il écrit que la semaine sainte fait un peu tarder les exécutions ; on n’y perdra rien ; il coupera, après Pâques, huit cents têtes pour commencer (Gach. Phil. II, t. II, p. 23).