Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/48

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ne lui montre sur son autel que l’image de ces deux apôtres, la conversion sera lente, la propagande française n’est pas fort à craindre, les gouvernements absolus peuvent parfaitement dormir.

Fraternité ! fraternité ! ce n’est pas assez de redire le mot… Il faut, pour que le monde nous vienne, comme il fit d’abord, qu’il nous voie un cœur fraternel. C’est la fraternité de l’amour qui le gagnera, et non celle de la guillotine.

Fraternité ? Eh ! qui n’a dit ce mot depuis la création ? Croyez-vous qu’il ait commencé par Robespierre ou Mably ?

Déjà la cité antique parle de fraternité ; mais elle ne parle qu’aux citoyens, aux hommes ; l’esclave est une chose. Ici la fraternité est exclusive, inhumaine.

Quand les esclaves ou affranchis gouvernent l’Empire, quand ils s’appellent Térence, Horace, Phèdre, Épictète, il est difficile de ne pas étendre la fraternité à l’esclave. « Soyez frères », dit le Christianisme. Mais, pour être frère, il faut être ; or l’homme n’est pas encore ; le Droit et la Liberté constituent seuls la vie de l’homme. Un dogme qui ne les donne pas n’est qu’une fraternité spéculative entre zéro et zéro.

« La fraternité ou la mort », a dit plus tard la Terreur. Encore fraternité d’esclaves. Pourquoi y joindre, par une dérision atroce, le saint nom de la Liberté ?

Des frères qui se fuient, qui pâlissent à se regarder en face, qui avancent, qui retirent une main morte et