Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/415

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celle qui donna une si terrible unité de mouvements aux armées de la liberté. Il ne se douta nullement de l’instrument qu’il employait. Ces armées, qui étaient des peuples, disons mieux, la patrie même, en ce qu’elle eut de plus ardent, demandaient d’aller ensemble et de combattre par masses, les amis avec les amis, comme disait le soldat. Amis et amis, parents et parents, voisins et voisins, Français et Français, partis en se donnant la main, la difficulté n’était pas de les retenir ensemble, mais bien de les séparer. Les isoler, c’était leur ôter la meilleure partie de leurs forces. Ces grandes légions populaires étaient comme des corps vivants ; ne pas les faire agir par masses, c’eût été les démembrer. Et ces masses n’étaient pas des foules confuses ; plus on les laissait nombreuses, plus elles allaient en bon ordre. Plus on est d’amis, mieux ça marche, c’est encore un mot populaire. L’audace vint aux généraux, dès qu’ils eurent remarqué ceci. Ils virent qu’avec ces populations éminemment sociables, où tous s’électrisent par tous, et en proportion du nombre, il fallait agir par grands corps. Le monde eut ce nouveau spectacle de voir des hommes, par cent mille, qui marchaient mus

    en agissant par masses, en portant ici et là des masses rapides. Nécessité l’ingénieuse forma ce génie mécanique. — Le général incomparable, qui voulut être membre de l’Institut pour la section de mécanique, imita et surpassa d’autant plus Frédéric qu’il eut dans les mains ce qui n’était nullement mécanique, ces armées admirables, qui, par une singularité unique, agissaient d’autant plus facilement d’ensemble qu’elles étaient plus nombreuses ; ajoutez, ce qui est bien plus, la tradition vivante de ces armées républicaines, tradition tellement forte qu’usées, détruites, exterminées, elles se renouvelèrent plusieurs fois.