Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 4.djvu/91

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gères seront poursuivis. Nul ne restera sur le globe de cette race condamnée, sauf peut-être tout au plus, les femmes, qu’on réservera pour l’outrage et le plaisir du vainqueur.

Hélas ! ce ne sont pas seulement les hommes qui périront, mais la pensée de la France. Nous avions cru follement que la justice était juste, que le droit était le droit. Mais l’autorité qui arrive, souveraine et sans appel, va changer ceci. Elle ne vient pas pour vaincre seulement, mais pour juger, pour condamner la Justice. Celle-ci sera abolie et la Raison interdite, comme aliénée et folle. Les juges arrivent dans l’armée des barbares, et avec eux les sophistes pour confondre la pauvre Révolution, l’embarrasser, la bafouer, de sorte qu’elle reste balbutiante, rougissante, comme un enfant intimidé qui ne sait plus ce qu’il dit. Voici venir dans l’armée du roi de Prusse le grand Méphistophélès de l’Allemagne, le docteur de l’ironie, pour tuer par le ridicule ceux que n’aura tués l’épée. Goethe ne voudrait pour rien au monde perdre une telle occasion d’observer les désappointements de l’enthousiasme et les déceptions de la foi.

Dure et cruelle surprise, vraiment pitoyable ! Ce peuple croit, prêche, enseigne ; il travaille pour le monde, il parle pour le salut du monde… Et le monde, son disciple, tourne l’épée contre lui.

Figurez-vous un pauvre homme qui s’éveille effaré, qui s’est cru parmi des amis et qui ne voit qu’ennemis. « Mes armes ! où sont mes armes ? —