Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/306

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Que Chalier, né furieux, dans le paroxysme même de sa fureur, ait trouvé ces paroles en faveur des riches ! et cela dans Lyon, dans la ville où le plus visiblement le pauvre fut la proie du riche !… qu’il ait, au fond de ses entrailles, senti ces violents accès de miséricorde infinie, cela le place très haut. Ce qui attendrit encore pour cet infortuné, sans

logique, sans suite et sans politique, c’est qu’il ne fut jamais un homme seul, — il fut toujours une

    tronnerie… Vous vous frottez les yeux, vous bâillez… Il vous en coûte de quitter cette couche parfumée, cet oreiller de roses… Vite ! vite ! le dernier baiser, et habillez-vous… Honnêtes gens, quelle cruauté ! comme on vous traite mal ! — « Est-ce un crime de goûter des plaisirs légitimes ? » — Oui, tout plaisir est criminel quand les sans-culottes souffrent, quand la Patrie est en danger. — Et puis, scélérats doucereux, vous ne déclarez pas tout. Vous feignez de dormir et de faire les bons époux, tandis que vous avez des insomnies de Catilina, que vous ourdissez, dans le silence des nuits, des trames liberticides… Bah ! bah ! à tout péché miséricorde… Riches, une petite pénitence ; … mousquet sur l’épaule et flamberge au vent ; galopez vers l’ennemi… Vous tremblez ; oh ! n’ayez point de peur ; vous n’irez pas seuls ;… vous aurez pour frères d’armes nos braves sans-culottes, qui n’étalent pas de la broderie sous le menton, mais qui ont du poil au bras… Je compte sur vous, malgré les mauvaises langues… Tenez, amis, je m’offre à être votre capitaine. Oui, je me glorifie d’avoir de tels soldats… Vous n’êtes point aussi mauvais qu’on veut le dire ; oh ! vous en vaudriez cent fois mieux, si nous nous étions un peu fréquentés. Les aristocrates ne sont incorrigibles que parce que nous les négligeons trop : il s’agirait de refaire leur éducation… On parle de les pendre, de les guillotiner ;… c’est bientôt fait ;… c’est une horreur… Y a-t-il de l’humanité et du bon sens à jeter un malade par la fenêtre pour s’exempter du souci de le guérir ? Riches, venez et laissez votre or pour être plus légers ; le drapeau flotte ; le signal est donné… Plongeons-nous loyalement dans les boues… Avancez ; faites feu ; vous êtes incorporés dans les bataillons patriotes ; battez-vous comme des lions… vous ne mourrez pas ; vous ne serez pas blessés… Chalier, votre capitaine, répond sur sa tête de tous les cheveux de la vôtre… Je veux que, pour votre part, vous apportiez quelques centaines de crânes prussiens, autrichiens et anglais, dans lesquels vos femmes et vos filles boiront avec transport le vin de la liberté, de la République et de la victoire. » (Fragment de Chalier, cité par Chassagnon, Offrande à Chalier. Guillon, Mémoires sur Lyon, I, 445.)