Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/309

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mourir en homme ; au défaut d’autres moyens, il avala deux grands clous et n’en eut pas moins la douleur de vivre.

Ses lettres, naïves et touchantes, décousues, troublées, témoignent de l’état d’isolement où il se trouva tout à coup. De ses amis, les uns étaient en fuite, les autres se cachaient, du moins dans leur effroi se tenaient immobiles. L’Italien, dominé par sa vive imagination, les presse, les pousse, veut leur donner des ailes : « Courez à Paris, voyez Renaudin (ami de Robespierre) ; que je sois jugé à Paris », etc. Une chose lui donnait espoir, l’arrivée de Lindet à Lyon, la prise de Brissot ; les Montagnards ayant un tel otage, Chalier croyait qu’on n’oserait le condamner à mort. Rien ne servit. On le jugea à Lyon.

Cependant on n’avait trouvé nulle preuve contre lui. Les jurés ne voulaient point juger, et les juges eux-mêmes voulaient ajourner le jugement. Mais les scribes et les pharisiens, comme il les appelle, avaient recours aux masses aveugles ; on courait les campagnes, jusque dans les villages, on animait le peuple à vouloir la mort de son défenseur. Chalier ne l’ignorait pas. Il alternait (flottant dans une mer de pensées) entre les souvenirs de la vie, les affaires et les visions de la mort. Le cher petit ermitage de la Croix-Rousse qu’il achevait de bâtir, lui revenait au cœur : « Finissons la maison du côté du jardin. » Et dans une autre lettre : « Terminons la citerne… La pluie gâterait tout. » —