Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/312

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les empêcha de déposer. Des femmes pleuraient dans l’auditoire. « Hélas ! disaient-elles, comment faire mourir ce saint homme ! » Le peuple les frappa, les chassa. Les juges, effrayés sur leurs sièges, furent obligés de prendre pour bonne la lettre supposée de l’émigré à Chalier, comme si, de toute façon, une lettre, même vraie, où il n’était pour rien, eût pu être citée contre lui. Il n’en fut pas moins, sur cette belle preuve, condamné à mort.

Quelque profonde et terrible que fût la surprise de Chalier, rentré dans sa prison, il dit à un ami : « Je prévois que ceci sera vengé un jour… Qu’on épargne le peuple ; il est toujours bon, juste, quand il n’est pas séduit. On ne doit frapper que ceux qui l’égarent. » L’ami sentit son cœur brisé et tomba raide évanoui.

Chalier, qui, dans ses lettres écrites en prison, avait donné des larmes à la nature, aux anxiétés de ce grand combat, ne se montra point faible à la mort. Il se rendit à pied à la place des Terreaux, où des furies hurlaient de joie. Il donna soixante francs au gendarme qui le conduisait, ne repoussa pas le prêtre qui se présenta à lui[1]. Quoique pâle au

  1. C’est le triomphe facile que se donne le clergé au martyre des libres penseurs. L’autorité, quelle qu’elle soit, ferme l’accès à tout ami de la liberté qui les soutiendrait dans leur foi. Elle fait approcher au contraire le prêtre qui peut tirer d’eux le désaveu de leurs principes, faire du héros un pénitent. Ce prêtre est bien reçu comme homme. Dans cette solitude effroyable du pauvre patient, déjà sorti de la nature et qui ne voit que le bourreau, un homme vient à lui les bras ouverts et le presse sur son cœur. Il faut une force surhumaine pour que le mourant emploie les quelques minutes qui le séparent de l’éternité à se défendre logiquement, à disputer son âme. Et, s’il le fait, qui