Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/33

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pêle-mêle le 2 septembre et la Saint-Barthélémy. L’immense plaidoyer de M. Louis Blanc était fini à peine que M. Hamel fit le sien, d’effroyable longueur aussi. C’est bien plus qu’un éloge ici. C’est une légende. Comment est-elle si ennuyeuse, malgré le mérite, le travail, les recherches de l’auteur ? C’est parce que ses héros sont trop parfaits. Saint-Just devient un Télémaque, un Grandisson. Robespierre est bien plus qu’un homme. Dès son enfance, c’est

    Mais si cela arrive, je ferai une telle critique de la critique qu’il leur faudra aussi des années pour la lire. Je la commence et les en préviens loyalement. Croient-ils donc avoir seuls de l’encre et du papier ? Ainsi, de part et d’autre, de réponse en réplique, nous avons de quoi faire un heureux emploi de la vie. — Notez que c’est une guerre sans conciliation possible. Nos livres suivent deux méthodes diamétralement opposées, et dont l’opposition se reproduit à chaque ligne… Ce sont des politiques qui ont à enseigner une idée politique (bonne ou mauvaise, je ne l’examine pas). Pour l’inculquer, ils prennent un type, un individu légendaire. Procédé bien connu ; on blanchit le saint tant qu’on peut et l’on dore l’auréole ; et plus on fait un dieu, plus on s’éloigne de la nature et du bon sens. — C’est là l’histoire autoritaire qui tire d’en haut la lumière, la sagesse. Que ce soit Robespierre au lieu de Lycurgue ou Numa, il n’importe, c’est toujours un sage, un haut législateur, au-dessus de l’humanité. — Moi, au contraire, j’ai pris l’histoire en bas, dans les profondes foules, dans les instincts du peuple, et j’ai montré comment il mena ses meneurs. — Voilà les deux méthodes en face : ils ont un saint ; je n’en ai pas. Sur tant de milliers de critiques qu’ils font dans le détail, les deux tiers au moins tiennent à l’opposition de méthode. — Ils disent très faussement que j’ai pris Danton pour héros ; j’ai noté sévèrement les variations, les éclipses, les taches de cette grande figure. C’est surtout sa mollesse fatale en novembre 1793 que je n’ai pu jamais pardonner. J’ai plongé un regard terrible dans ses lâchetés. Mon père et ma mère même, mon XVIIIe siècle, mon Voltaire, est-ce que je les ai ménagés ? J’ai rudement montré plusieurs Voltaire, pitoyable en Choiseul et sublime en Calas. Telle est la vraie nature : elle ondule et monte et descend. Mon seul héros, le peuple, l’ai-je flatté, ai-je faibli pour lui ? Point du tout. J’ai montré et ses heureux élans et ses promptes rechutes. Exemple, le dégoût, l’ennui, la mollesse ou la peur, qui, après le Chant du Départ, saisit Paris, le fit rentrer chez lui.

    Voilà l’histoire, Messieurs, voilà le juste juge. L’histoire, c’est Brancaleone, c’est l’inflexible podestat qui, avant de juger, peut jurer à la porte qu’il n’a dans cette ville ni parents ni amis. Et c’est à ce prix-là qu’il a la grande épée