Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/35

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

doux Robespierre, lui-même a eu quelque ombre en son humanité. Un jour il a pleuré, un jour désespéré. Non, rien au monde d’absolument parfait.

Tout était libre, disent-ils. La Convention était libre. Les juges et jurés étaient libres. La police… ah ! grand Dieu ! Robespierre n’a pas su seulement si elle existait.

Voilà, Messieurs, voilà ce que nous ne pouvons

    quoi ? C’est qu’à ce moment même, par un profond calcul (qui l’eût fait adorer), il essayait à Lyon des moyens de douceur. — Voici précisément ce qui eut lieu. Paris, quoique affamé, ne bougeait pas. Hébert et les exagérés, à qui le Comité fermait enfin la caisse de la Guerre, poussaient un mouvement contre le Comité, peut-être un 2 septembre. On n’y réussit pas. Robespierre dit fort sagement que ce n’était « qu’un complot d’intrigants ». Le 5, on pousse la Commune, quelques mille ouvriers sur la Convention. Robespierre était président. Mais le 5 était le dernier jour de sa présidence. Jamais il n’avait été aux grands mouvements. Fut-il présent à celui-ci pour tenir tête, non sans danger, à ceux qu’il nommait intrigants ? Je ne le crois point du tout. Je crois avec Buchez, contre M. Hamel, que c’est Thuriot qui tint le fauteuil en son absence. La réponse qu’on fit à la foule n’est nullement dans les formes de Robespierre. Il vint, après l’orage, un peu avant la fin de la séance, pour céder la place au nouveau président, Billaud-Varennes.

    Robespierre était las de porter le fardeau de l’alliance d’Hébert, qu’il subissait depuis plusieurs mois. Son gros péché, qui l’accablait, était la patience avec laquelle il avait enduré que cet Hébert manipulât, gâchât la Guerre, y mît ses furieux bavards et paralysât tout, de juin en août. Un homme de beaucoup de verve et de talent, M. Tridon, a essayé de nous blanchir Hébert (sans donner ni preuves ni pièces). Il dit fort bien, pour les vols de jeunesse de son héros, qu’ils ne sont pas prouvés. Il dit (chose certaine) qu’Hébert eut de l’esprit, était fin, élégant, qu’il a parfois écrit des choses excellentes contre la superstition, pour la diffusion des lumières, etc. Mais ce bon sens, cette finesse, en contraste si grand avec le ton de son journal, n’excuse aucunement, elle accuse plutôt le calcul de ce fin Normand, qui, criant, hurlant la Terreur, l’exploita et poussa (le dirai-je ?), terrorisa Robespierre même, le jeta hors des voies qu’il avait essayées à Lyon. Ainsi le grand homme de tactique, piqué de cette mauvaise mouche, alla hors de toute tactique, se perdit, nous perdit. D’autre part, cet homme de ruse, Hébert, dans sa comédie de fureur, fit un énorme tort à la Commune bienfaisante de 1793, à Chaumette et à Clootz, au nouveau culte, au grand mouvement de charité qui se faisait, autrement dit, sécha, stérilisa le vrai côté fécond de la Révolution.