Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 6.djvu/383

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La place, très petite alors, ne contenait pas deux mille ouvriers, mais l’aspect était très sinistre et des plus mauvais jours. On avait grisé de colère ces braves gens contre les affameurs du peuple. Ce mot, lancé par la Commune contre le ministre de l’intérieur, au mois d’août, on le lui lançait alors à elle-même et à son administration des subsistances.

La foule aveugle ne voulait rien qu’agir. Tout à coup, dans la masse, se trouvent par enchantement des gens lettrés, habiles, qui dressent une table sur la place, forment un bureau, nomment président, secrétaire, écrivent une pétition. Puis ils lâchent la foule… Elle se jette dans la salle, pousse au fond et tient acculés le maire et la Commune, commence à les interroger avec insultes et menaces, avec la sombre impatience d’un estomac vide :

« Du pain ! du pain !… mais de suite ! »

Chaumette, peu rassuré, obtient de traverser la foule, d’aller à la Convention. C’était le moyen de gagner du temps. Il la trouva occupée justement de fixer le prix des grains et revint avec cette bonne et calmante nouvelle. La foule n’en criait pas moins, irritée et menaçante : « Du pain ! du pain ! et de suite ! »

Il monta sur une table, parla avec infiniment d’adresse, de présence d’esprit. Il fit la part au feu, abandonna les administrateurs des subsistances. « On va les arrêter et on leur donnera pour gardiens, non des gendarmes (on pourrait les corrompre), mais des gardiens incorruptibles, et j’en