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berty et le fit périr ; des amis de Lamberty échappèrent en rejetant tout sur Carrier. Ainsi, ce procès immense s’étendait, s’agrandissait, s’enrichissait de témoignages[1], Robespierre n’avait qu’à les laisser faire et regarder. Ils travaillaient tous à lui donner contre Carrier et, en général, contre le parti hébertiste, une force incalculable, celle de la passion populaire, celle d’une accusation poussée en commun par tous les partis de l’Ouest. Les uns, républicains, voulaient qu’on punît Carrier d’avoir sali la République. Les autres, secrètement royalistes, saisissaient l’occasion de venger sur lui la Vendée.

Ce fut le comité de Nantes qui, assez maladroitement, travaillant contre lui-même, fît commencer la rumeur à Paris. Il y envoya cent trente-deux Girondins (suspects pour la liaison de Villenave avec Bailly). Ces hommes, de leurs prisons, où chacun venait les voir, travaillèrent violemment l’opinion contre le comité, en même temps que

  1. Ce progrès de la boule de neige et de l’avalanche qui va grossissant explique le procès de Carrier. Il était, comme on a vu, très coupable. Mais de la manière dont on procéda, il aurait péri de même innocent. Il se défendit très mal, et Goullin le lui reprocha : « Eh ! Carrier, ne chicane donc pas ainsi ta vie, en procureur Tout ce que nous avons été forcés de faire, nous l’avons fait pour la République ! » On n’osait pas trop faire comparaître les véritables témoins à charge, qui eussent été les royalistes. Mais on s’était cotisé à Nantes pour envoyer et pensionner à Paris des témoins sans-culottes, d’autres aussi très récusables, un voleur, par exemple, déjà condamné à quatre ans de prison, et qui, pour la peine, eut sa grâce. Le vrai héros des débats appartient à une classe dont les riches disposaient aisément. C’est une poissonnière, la femme Laillet, admirablement choisie pour ajouter au dramatique : cette femme, d’un bec étonnant, parfois éloquente, interrompt à chaque instant, place un mot, et toujours bien. C’est elle qui a conté, avec une apparence de simplicité qui assénait mieux le coup, la mort de Mme et dire que ces dames étant cousines germaines de Charette, personne ne pouvait les sauver, et, si on l’eût essayé, on eût été proclamé traître par le peuple, par les poissonnières et peut-être par Laillet même.

    Les légendes de la Terreur rouge ont été ainsi très habilement exploitées. J’attends celles de la Terreur blanche. Certes, ses assassinats nocturnes en fourniraient de saisissantes. Pourquoi ne les écrit-on pas ? Par égard pour d’honorables familles. Les hommes, souvent très capables, des localités qui pouvaient les recueillir, m’ont souvent fait même réponse : « Nous serions assassinés. » — La prospérité apparente qui a recouvert les ruines ne doit pas faire illusion. Tel département qui alors eut comme une pléthore de -vie a vu tous les patriotes d’âge mûr égorgés par les chouans sur des listes systématiques, puis leurs fils tous morts dans nos grandes guerres, —puis leurs petits-fils livrés par les mères, les veuves, à la mortelle direction de ceux qui firent tuer leurs pères. Cette terre, si habilement stérilisée, ne porte plus que de bons sujets.