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comportaient d’audacieuses exhibitions de la beauté ; on voulait faire regretter ce que la mort allait atteindre. Si l’on en croit un royaliste, de grandes dames humanisées, sur des chaises mal assurées, hasardaient cette gymnastique. Même à la sombre Conciergerie, où l’on ne venait guère que pour mourir, la grille tragique et sacrée, témoin des prédications viriles de Madame Roland, vit souvent à certaines heures des scènes bien moins sérieuses ; la nuit et la mort gardaient le secret.

De même que, l’assignat n’inspirant aucune confiance, on hâtait les transactions, l’homme aussi n’étant pas plus sûr de durer que le papier, les liaisons se brusquaient, se rompaient, se reformaient avec une mobilité extraordinaire. L’existence, pour ainsi parler, était volatilisée. Plus de solide, tout fluide, et bientôt gaz évanoui.

Lavoisier venait d’établir et démontrer la grande idée moderne : solide, fluide et gazeux, trois formes d’une même substance.

Qu’est-ce que l’homme physique et la vie ? Un gaz solidifié[1].

  1. Je trouve avec bonheur, chez Liebig (Nouvelles lettres sur la chimie, lettre xxxvi), cette observation si juste, qui, dans cette extrême mobilité de l’être physique, me garantit la fixité de mon âme et son indépendance. « L’être immatériel, conscient, pensant et sensible, qui habile la boîte d’air condensé qu’on appelle homme, est-il un simple effet de sa structure et de sa disposition intérieure ? Beaucoup le croient ainsi. Mais, si cela était vrai, l’homme devrait être identique avec le bœuf ou autre animal inférieur dont il ne diffère pas, comme composition et disposition. » Plus la chimie me prouve que je suis matériellement semblable à l’animal, plus elle m’oblige de rapporter à un principe différent mes énergies si variées et tellement supérieures aux siennes.