Page:Michelet - OC, L’Amour, La Femme.djvu/359

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Un d’eux, savant distingué, me dit très sérieusement ces propres paroles « Monsieur, ne croyez nullement, quelques distractions qu’on puisse trouver au dehors, qu’on ne soit pas malheureux de n’avoir pas de foyer, je veux dire, une femme à soi, qui vraiment vous appartienne. Nous le savons, nous le sentons. Nul autre repos pour le cœur. Et ne l’avoir pas, monsieur, sachez que c’est une vie sombre, cruelle et amère. »

Amère. Sur ce mot-là, les autres insistèrent et dirent comme lui.

« Mais, dit-il en continuant, une chose nous en empêche. Tous les travailleurs sont pauvres en France. On vit de ses appointements on vit de sa clientèle, etc. On vit juste. Moi, je gagne six mille francs mais telle femme à laquelle je pourrais songer, dépense autant pour sa toilette. Les mères les élèvent ainsi. En supposant qu’on me la donne, cette belle, que deviendrai-je le lendemain, quand, sortie d’une maison riche elle va me trouver si pauvre ? Si je l’aime (et j’en suis capable), imaginez les misères, les lâchetés dont je puis être tenté pour devenir un peu riche, et lui déplaire un peu moins.

« Je me souviendrai toujours que me trouvant dans une petite ville du Midi, où l’on envoie les malades à la mode, je vis passer sur une place où les mulets se roulaient dans une épaisse poussière, une surprenante apparition. C’était une fort belle dame courtisanesquement vêtue (une dame pourtant, non une fille), vingt-cinq ans, gonflée, ballonnée, dans une fraîche et délicieuse robe de soie bleu de ciel, nuée de blanc (chef-d’œuvre de Lyon), qu’elle