Page:Michelet - OC, L’Amour, La Femme.djvu/384

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’on dise « Elle a du talent! » -Mais je dis : « Voyez! »

Quelle erreur ! la foule décide bien moins par ce qu’elle voit que par ce qu’on lui dit être le jugement de la foule. On est touché de cette actrice, mais chacun hésite à le dire. Chacun attendra, craindra le ridicule d’un entraînement passionné. Il faudra que les censeurs autorisés, les moqueurs de profession, aient donné le signal de l’admiration. Alors le public éclate, ose admirer, dépasse même tout ce que lui aurait dicté son émotion personnelle.

Mais, seulement pour arriver à ce jour du jugement où elle aura tout à craindre, que de fâcheux préalables que d’hommes intéressés, suspects, indélicats, disposent souverainement de son sort !

Par quelles filières, quelles épreuves, ont réussi les débuts ? comment s’est-elle concilié ceux qui la présentent et la recommandent ? puis, le directeur auquel elle est présentée ? plus tard, l’auteur à la mode qui ferait pour elle un rôle ? les critiques en dernier lieu ? Et je ne parle pas ici des grands organes de la presse qui se respectent un peu, mais des plus obscurs, des plus inconnus. Il suffit qu’un jeune employé, qui passe sa vie dans tel ministère à tailler des plumes, ait griffonné à son bureau quelques lignes satiriques, qu’une petite feuille les reçoive, les répande dans l’entr’acte. Animée, encouragée des premiers applaudissements, elle rentre en scène belle d’espoir. mais ne reconnaît plus la salle. Tout est brisé, le public glacé. On se regarde en riant.

J’étais jeune quand je vis une scène bien forte,