Page:Michelet - OC, La Montagne, L’Insecte.djvu/274

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J’aime les lieux qui concentrent, qui resserrent le champ de la pensée. Ici, dans ce cercle étroit de collines, les changements sont tout extérieurs et de pure optique. Avec tant d’abris, les vents sont naturellement peu variables. La fixité de l’atmosphère donne une assiette morale. Je ne sais si l’idée s’y réveille fort ; mais qui l’apporte éveillée, pourra la garder longtemps, y caresser sans distraction son rêve, en saisir, en goûter tous les accidents du dehors et tous les mystères du dedans. L’âme y poussera des racines et trouvera que le vrai sens, le sens exquis de la vie, n’est pas de courir les surfaces, mais d’étudier, de chercher, de jouir en profondeur. Ce lieu avertit la pensée. Ces grès fixes et immuables sous la mobilité des feuilles parlent assez dans leur silence. Ils sont posés là, depuis quand ? Depuis longtemps, puisque, malgré leur dureté, la pluie a pu les creuser ! Nulle autre force n’y a prise. Tels ils furent, et tels ils sont. Leur vue dit au cœur « Persévère. » Ils semblaient devoir exclure la vie végétale. Mais les chênes héroïques ne se sont pas rebutés. Condamnés à vivre là, ils en sont venus à bout. Avec leurs racines tordues, avec les griffes puissantes dont ils ont saisi le rocher, eux aussi, à leur façon, disent éloquemment « Persévère. » L’arbre invincible, s’obstinant plus il est contrarié, a d’autant plus, du côté libre, plongé au fond de la terre, puisé d’incalculables forces. L’un d’eux, pauvre vieux géant qu’on nomme le Charlemagne, usé, miné, foudroyé, après tant de siècles et tant d’accidents, est si ferme encore sur ses reins qu’en une seule de ses branches il a