Page:Michelet - OC, La Montagne, L’Insecte.djvu/281

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« Enfant et déjà jeune fille, à cet âge d’imagination où le rêve est si puissant, j’opposai à la certitude l’obstiné besoin de mon cœur. J’attendis un moment au seuil dans une anxiété étrange la force de ma foi eût dû vaincre la triste réalité. Mais la porte resta close...
« Alors, d’une main tremblante, je l’ouvris moi-même pour y chercher du moins son ombre. Elle-même avait disparu. Un monde obscur, ennemi de la lumière, s’était glissé dans cet asile. J’en fus comme enveloppée.
« Sa petite table noire, pauvre relique de famille, les rayons de sa bibliothèque craquaient par intervalles sous la dent du ver rongeur. Cette chambre avait déjà pris un air antique. De grosses araignées, immobiles et comme gardiennes du lieu, avaient filé et tapissé l’alcôve vide. Des cloportes, des mille-pieds, couraient, rampaient çà et là, cherchant un refuge sous les lambris.
« Cette apparition étrange, imprévue, me pénétra si douloureusement que je retombai sur moi-même et m’écriai en fondant en larmes : «O mon père où êtes-vous ?... »
« Dès ce moment, je ne sentis plus que la désolation de ce lieu, et partout, dans la cour, dans le jardin, je retrouvai les hôtes nouveaux et silencieux qui avaient pris notre place.
« Déjà la première brume du soir se mêlait aux derniers rayons du soleil, et les limaçons, sollicités par cette humidité chaude, sortaient en foule des feuilles qui jonchaient déjà nos allées. Ils allaient lentement, mais sûrement, brouter le fruit tombé.