Page:Michelet - OC, Mémoires de Luther.djvu/7

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tomber des mots qu’il eût voulu ravoir. Plus tard les luthériens y ont eu regret. Ils auraient bien voulu rayer telle ligne, arracher telle page. Quod scriptum est, scriptum est.

C’est donc ici le vrai livre des Confessions de Luther, confessions négligées, éparses, involontaires, et d’autant plus vraies. Celles de Rousseau sont à coup sûr moins naïves, celles de saint Augustin moins complètes et moins variées.

Comme biographie, celle-ci se placerait, s’il l’eût écrite lui-même en entier, entre les deux autres dont nous venons de faire mention. Elle présente réunies les deux faces qu’elles offrent séparées. Dans saint Augustin, la passion, la nature, l’individualité humaine, n’apparaissent que pour être immolées à la grâce divine. C’est l’histoire d’une crise de l’âme, d’une renaissance, d’une Vita nuova ; le saint eût rougi de nous faire mieux connaître l’autre vie qu’il avait quittée. Dans Rousseau, c’est tout le contraire ; il ne s’agit plus de la grâce ; la nature règne sans partage, elle triomphe, elle s’étale ; cela va quelquefois jusqu’au dégoût. Luther a présenté, non pas l’équilibre de la grâce et de la nature, mais leur plus douloureux combat. Les luttes de la sensibilité, les tentations plus hautes du doute, bien d’autres hommes en ont souffert ; Pascal les eut évidemment, il les étouffa et il en mourut. Luther n’a rien caché, il ne s’est pu contenir. Il a donné à voir en lui, à sonder la plaie