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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/159

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Et, bien qu’il ne vît plus, même avec la lunette,
La moindre étoile fixe ou la moindre planète,
Comme il en connaissait et la forme et le nom,
Son doigt montrait leur route et leur position.

D’ailleurs on l’écoutait avec indifférence
Décrire le Dragon, le Crible et la Balance.
Un nouvel hôte attire et l’esprit et les yeux,
Une comète : on vient de la voir dans les cieux.
Elle paraît immense[1] ; et, dans sa course folle,
Venant de l’Occident vers le Nord elle vole
Fixant sur le Chariot un œil sanglant et fier :
On dirait qu’elle y veut remplacer Lucifer.
Sa longue chevelure enflammée et flottante
Entraîne des milliers d’étoiles ; éclatante,
Elle dresse sa tête, et, comme vers le port,
Vers l’étoile polaire elle court droit au Nord.

Tout le peuple est saisi de crainte et de vertige
En voyant chaque soir revenir ce prodige.
D’autres signes encor présagent de grands maux.
On entend croasser des bandes de corbeaux
Qui s’assemblent la nuit au milieu des ténèbres,
Et réclament des corps pour leurs repas funèbres ;
On voit des chiens fouillant le sol avec effort
Qui hurlent tristement et qui flairent la mort.
C’est signe de famine ou de guerre. Du reste,
N’a-t-on pas aperçu la Vierge de la Peste,
Qui dépasse les bois de son front redouté,
Et dont la main agite un voile ensanglanté ?

C’est ce que le Ciwun[2] à l’Econome conte
Près de la haie, après avoir rendu son compte.
Le pisarz[3] s’associe à l’explication.

Interrompant alors la conversation,
Le Président aussi traite cette matière.
Dans un rayon de lune a lui sa tabatière :
Toute en or, de brillants ornée, elle portait

  1. C’est la fameuse comète de 1811.
  2. Ciwun (Tywun, Tymon). Ce mot désignait jadis les régisseurs des biens royaux en Lithuanie, puis des fonctionnaires chargés de la police des camps, enfin d’humbles employés des exploitations agricoles, et, comme ici, le sous-économe, qui surveille le travail des champs.
  3. Il s’agit du pisarz prowentowy, chargé de tenir la comptabilité des revenus provenant des récoltes et de la fabrication et de la vente de l’eau-de-vie.