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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/163

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Reytan fut irrité ; ce discours le piqua :
Il était vif ; frappant son sabre, il répliqua :
Qui dit coup d’œil hardi, dit bras plein de vaillance,
Sanglier vaut bien tigre et sabre vaut bien lance. »
La conversation s’anima sur ce ton.
Le prince calma seul cette discussion
En leur parlant français : je n’y pus rien comprendre
Mais c’était sur la braise avoir mis de la cendre.
Reytan se promit bien de se venger un jour.
Il veut à ce Teuton jouer quelque bon tour.
Ah ! ce tour il faillit le payer de sa vie !
Mais voici l’aventure. Ecoutez, je vous prie, »

Là le Woïski se tait ; et, levant son bras droit,
Demande au Président une prise. On le voit
L’aspirer longuement… Il suspend son histoire
Pour mieux mettre en éveil l’esprit de l’auditoire.
Il reprenait enfin, quand on interrompit
Encor son curieux, son palpitant récit !
Quelqu’un vient annoncer au Juge une visite
Pour affaire qui doit se régler au plus vite.
« Bonne nuit ! » dit le Juge ; il salue et s’en va.
Tout le monde aussitôt en foule se leva.
A la grange, au logis l’on se rend en silence.
Le Juge au visiteur va donner audience.

Tous dorment. Seul Thadée attend dans le couloir
Que son oncle à son tour puisse le recevoir.
Il veut le consulter sur un point, qu’il importe
De trancher dès ce soir. N’osant heurter la porte,
(Le Juge l’a fermée et confère en secret)
Il écoute, il attend que son oncle soit prêt.

Qu’est-ce donc ? Des sanglots ! Retenant son haleine,
Par le trou de la clef, il regarde : il a peine
A croire ce qu’il voit. A genoux, enlacés,
Le Juge avec Robak se tiennent embrassés
Et pleurent. D où leur vient cet accès de tendresse ?
Et pourquoi ces transports de joie ou de tristesse ?
Après un long silence, étouffant ses sanglots,
Robak, mais à voix basse[1], a prononcé ces mots :
« Mon frère ! assez longtemps j’ai caché ce mystère

  1. Thadée n’entend donc pas cette conversation, et ne saura qu’après la mort du Bernardin que Robak est son père.