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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/168

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« Dis vrai ; tu me trahis ! » Les pleurs coupent sa voix.
— « Non, mais ce serait faire un triste personnage, »
Dit-il, « que de rester maintenant, à mon âge,
A roucouler ici, quand tous les jeunes gens
S’en vont, quittant parfois leur femme et leurs enfants,
Rejoindre nos drapeaux par delà la frontière !
Et comment me soustraire aux ordres de mon père,
Qui par son testament me prescrit de servir
Dans les rangs polonais ? Je ne puis qu’obéir.
Je pars demain ; j’ai pris mon parti. Télimène,
Vouloir m’en détourner serait perdre sa peine. »

— « Qui ? moi ! Te détourner du chemin de l’honneur ? »
Répondit-elle, « et mettre obstacle à ton bonheur !
Jamais ! Tu trouveras sans doute une autre amante
Plus digne de ton cœur, plus riche, plus charmante !
Mais dis-moi, si je dois te perdre sans retour,
Dis-moi que tu brûlais d’un véritable amour,
Et non pas d’une ardeur inconsistante et vaine ;
Dis-moi que mon Thadée aimait sa Télimène !
Répète-moi ce mot : je t’aime ! O mon vainqueur,
Ce mot béni, je veux le graver dans mon cœur.
Je me dirai du moins un jour : « S’il m’a trahie,
Excusons-le ; de lui je n’étais point haïe ! »
Elle éclate en sanglots.

Elle éclate en sanglots. Attendri, son neveu,
La voyant se faire humble et demander si peu,
Sent naître dans son cœur une pitié sincère ;
Et, s’il eût de ce cœur déchiffré le mystère,
Peut-être n’eût-il pu savoir en ce moment
S’il l’adorait ou non. Il reprit vivement :
« Télimène, je veux que la foudre m’écrase
Si je mens, en jurant sincèrement, sans phrase,
 Que je t’aimais. Trop courts furent nos rendez-vous ;
Mais ces instants pour moi furent si bons, si doux,
Que mon cœur désormais s’en souviendra sans cesse,
Et n’oubliera jamais ni toi, ni ta tendresse. »

Télimène s’élance à son cou : « C’est donc vrai ;
Tu m’aimes, mon Thadée ! En ce cas je vivrai ;
Car de ma propre main j’allais aujourd'hui même
Me… Mais comment peut-on quitter celle qu’on aime ?
Je t’ai donné mon cœur ; prends encore mon bien :
Je te suivrai partout ; je ne redoute rien