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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/211

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Ah ! parfois, en buvant, quand il s’attendrissait,
Quand il me cajolait, me flattait, m’embrassait
Pour obtenir mon aide, avec quelle contrainte
Je lui rendais alors son amicale étreinte !
Souvent, serrant les dents, bouillonnant de fureur,
J’allais tirer mon sabre et lui dire l’horreur
Qu’il m’inspirait, et lui faire sentir ma rage…
Mais Eve alors, voyant mon regard, mon visage,
Devinait en mon cœur tout ce qui se passait.
Ses yeux me suppliaient et son front pâlissait.
Or, elle était si belle, et si bonne, et si tendre,
Son doux regard si bien savait se faire entendre,
Que je ne savais plus où j’étais… L’offenser,
L’effrayer ? Non, jamais… J’aimais mieux m’apaiser.
Et moi, ce querelleur fameux dans la province,
Qui ne reculais pas fût-ce devant un prince,
Qui tous les jours avais un duel, qui, je croi,
Aurais bravé non pas Horeszko, mais le roi,
Moi que le moindre mot transportait de colère,
Je me taisais alors pour ne pas lui déplaire,
Comme si j’avais vu le Saint des Saints !…

Que de fois je voulus au père ouvrir mon cœur,
Et baiser ses genoux pour fléchir sa rigueur !
Mais, voyant son regard glacé, plein de rudesse
Et de dédain, j’avais honte de ma faiblesse !
Et froidement alors aussi je dissertais
Sur les choses du jour ; parfois je plaisantais ! !
C’était, je le sais bien, de l’orgueil !… Moi Hyacinthe
Soplitza ! m’abaisser, supplier !… Et la crainte
D’un refus !… Ah ! grand Dieu, s’il m’avait refusé,
Qu’aurait dit la noblesse aurais-je encore osé
Me présenter devant mes voisins…

Alors qu’un HoreszKo m’eut refusé sa fille,
Déshonorant ainsi moi-même et ma famille !

Enfin, ne cherchant plus qu’un moyen d’en finir,
J’assemblai des amis, je voulus me bannir
Du pays, et bien loin aller vendre ma vie,
Ou parmi les Tatars ou jusqu’en Moscovie.

Au Panetier j’allai dire un dernier adieu.
J’espérais qu’en voyant que je quittais ce lieu,
Son cœur à mon aspect s’attendrirait un peu…