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Page:Mickiewicz - Thadée Soplitza, trad. Gasztowtt.pdf/245

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— « En effet, Général », dit un chef d’escadron,
« J’ai dans ma compagnie un Goliath immense
Nommé le Goupillon, un Dobrzyński, je pense.
C’est l’ours lithuanien, disent tous nos mazours.
Voulez-vous, Général, qu’on amène cet ours ?
— « Moi », dit un lieutenant, « j’ai plus d’un gentilhomme
De ce pays : l’un d’eux, c’est Rasoir qu’on le nomme ;
Un autre, le Tromblon, est dans les tirailleurs ;
Deux autres Dobrzyński servent dans les chasseurs
Comme grenadiers… »

Comme grenadiers… » — « Mais leur chef, ce redoutable
« Canif », dit Dqbrowski, « ce sabreur formidable,
« Dont Monsieur le Woïski m’a vanté les exploits ?
« Qu’est-il donc devenu, ce géant d’autrefois ? »

— « Il n’a », dit le Woïski , « point franchi la frontière ;
Mais, craignant de tomber dans quelque souricière,
Le pauvre homme a passé tout l’hiver dans les bois.
Il vient de reparaître, et l’on pourrait, je crois,
Utiliser encor sa force et son courage,
Bien qu’il soit maintenant un peu courbé par l’âge.
Mais le voici !…

Mais le voici !… De loin, près de la porte, on voit
La foule que le vieux Woïski montre du doigt ;
Et, par-dessus les fronts, un crâne chauve, immense,
Brillant comme la lune en son plein, se balance,
Paraît trois fois, trois fois disparaît en plongeant
Dans les têtes… Enfin Gervais, se dégageant,
S’écrie : « O très illustre hetman[1] de la Couronne,
Ou Général, qui sait le titre qu’on vous donne ?
Gervais à votre appel se présente en personne
Avec son vieux Canif… Ce n’est pas sa beauté
Qui fait qu’il est fameux, mais sa solidité ;
Et vous-même, Monsieur, vous lui rendez hommage.
Oh ! s’il savait parler, peut être en son langage
Il vanterait aussi, lui, cette vieille main
Qui servit si longtemps et sans espoir de gain
Les Horeszkos d’abord, ensuite la patrie.
Je le dis sans orgueil et sans forfanterie,
Mon maître, rarement un greffier sut tailler

  1. C’est le titre antique des connétables polonais et des chefs cosaques. Gervais, en homme de jadis, ne connaît pas les noms modernes ou affecte d’employer les titres anciens.