LIVRE II
LE CHÂTEAU
Vous souvient-il d’avoir en votre jeune temps
Le fusil sur l’épaule erré seul dans nos champs ?
Quel fossé, quelle haie arrêtait la poursuite ?
Des domaines d’autrui qu’importait la limite !
Le chasseur est chez nous comme un navire en mer ;
Par le chemin qu’il veut il marche libre et fier :
Tantôt, comme un prophète, il dérobe aux nuages
(Car il lit dans les cieux) leurs multiples présages ;
Tantôt, comme un sorcier, il écoute les voix
Murmurantes du sol, muet pour le bourgeois.
J’entends la bécassine : à quoi bon la poursuivre ?
Dans l’herbe à ses ébats la friponne se livre ;
Quel est ce chant là-haut, si printanier, si pur ?
C’est l’alouette allant se perdre dans l’azur ;
Voici l’aigle qui passe, et l’ombre qu’il projette
fait peur aux moineaux, comme aux Tzars la comète[1].
Le vautour, dans l’espace, ainsi qu’un papillon
Sur une épingle, plane au-dessus du sillon :
Soudain il voit un lièvre, une perdrix errante,
Et fond sur eux, semblable à l’étoile filante.
Quand donc, ô pèlerins, Dieu nous permettra-t-il
De rentrer sous nos toits, au retour de l’exil ?[2]
De servir seulement dans la cavalerie
Qui fait la guerre au lièvre, ou dans l’infanterie
- ↑ Allusion à la comète de 1811, regardée en Russie comme un présage funeste.
- ↑ On a déjà vu par le début du poème que cet ouvrage fut composé en exil. Il parut en 1834 à Paris, où le poète avait déjà publié la troisième partie des Aïeux, analysée sous le titre de Konrad par Mme Georges SAND, qui la place au même rang que Faust et Manfred, et aussi le Livre des Pèlerins (c’est le nom que Mickiewicz que donne d'ordinaire aux émigrés polonais) traduit par MONTALEMBERT, apprécié par SAINTE-BEUVE, et qui suggéra à LAMENNAIS l’idée de ses Paroles d’un Croyant.