Page:Milosz - Poèmes, 1929.djvu/102

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Je fus voyageur en ces terres du nocturne fracas

Où, seuls parmi les choses physiques,

L’amour furieux et la lèpre du visage baignent leurs maudites racines.

J’y ai mesuré, ver aveugle, les sinuosités d’une ligne de ta main. Ce pays de la nuit dense comme pierre,

Ce monde de l’autre étoile du matin, de l’autre fils, de l’autre prince, c’était ta main fermée. Cette main s’est ouverte et me voici dans la lumière.

Il faut l’avoir vu, Lui, l’Autre, pour comprendre pourquoi il est écrit qu’il vient comme le voleur. Il est plus loin que le cri de la naissance, il est à peine, il n’est pas. L’espace d’un grain de sable, le voici tout entier en toi, lui, l’autre, le prince assis muet dans la cécité éternelle.

Toi dans l’œuf solaire, toi, immense, innocent, tu te connais. Mais les deux infinis de ton affirmation et de ta négation ne se connaissent pas, ne se connaîtront jamais, car l’éternité n’est que la fuite de l’un devant l’autre.

Et toute la hideuse, la mortelle mélancolie de l’espace et du temps n’est que la distance d’un oui à un non et la mesure de leur séparation irrémédiable.

C’est ici la clef du monde des ténèbres.

L’homme en qui ce chant a réveillé non pas une pensée, non pas une émotion, mais un souvenir, et un souvenir très ancien, cherchera, dorénavant, l’amour avec amour.

Car c’est cela aimer, car c’est cela amour : quand on cherche avec amour l’amour.

J’ai cherché comme la femme stérile, avec angoisse, avec fureur. J’ai trouvé. Mais quoi ? mais qui ? le dominateur, le possesseur, le dispensateur des deux lèpres.