Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/154

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se hâte et oppose au fer de Michel l’orbe impénétrable de dix feuilles de diamant, son ample bouclier, vaste circonférence. À son approche, le grand archange sursit à son travail guerrier ; ravi, dans l’espoir de terminer ici la guerre intestine du ciel (le grand ennemi étant vaincu ou traîné captif dans les chaînes), il fronce un sourcil redoutable, et le visage enflammé, il parle ainsi le premier :

« Auteur du mal, inconnu et sans nom dans le ciel jusqu’à ta révolte, aujourd’hui abondant comme tu le vois, à ces actes d’une lutte odieuse, odieuse à tous, quoique par une juste mesure elle pèse le plus sur toi et sur tes adhérents. Comment as-tu troublé l’heureuse paix du ciel et apporté dans la nature la misère, incréée avant le crime de ta rébellion ! combien as-tu empoisonné de ta malice des milliers d’anges, jadis droits et fidèles, maintenant devenus traîtres ! Mais ne crois pas bannir d’ici le saint repos ; le ciel te rejette de toutes ses limites ; le ciel, séjour de la félicité, n’endure point les œuvres de la violence et de la guerre. Hors d’ici donc ! Que le mal, ton fils, aille avec toi au séjour du mal, l’enfer, avec toi et ta bande perverse ! Là fomente des troubles ; mais n’attends pas que cette épée vengeresse commence ta sentence, ou que quelque vengeance plus soudaine à qui Dieu donnera des ailes, ne te précipite avec des douleurs redoublées. » —

« Ainsi parle le prince des anges. Son adversaire répliqua :

« Ne pense pas, par le vent de tes menaces, imposer à celui à qui tu ne peux imposer par tes actions. Du moindre de ceux-ci as-tu causé la fuite ? ou si tu les forças à la chute, ne se sont-ils pas relevés invaincus ? Espérerais-tu réussir plus aisément avec moi, arrogant, et avec tes menaces me chasser et ici ? Ne t’y trompe pas : il ne finira pas ainsi le combat que tu appelles mal, mais que nous appelons combat de gloire. Nous prétendons le gagner, ou transformer ce ciel dans l’enfer, dont tu dis des fables. Ici du moins nous habiterons libres, si nous ne régnons. Toutefois, je ne fuirais pas ta plus grande force,