Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/224

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ger, mais du fruit de ce bel arbre dans le jardin Dieu a dit : Vous n’en mangerez point ; vous n’y toucherez point, de peur que vous ne mouriez. »

À peine a-t-elle dit brièvement, que le tentateur, maintenant plus hardi (mais avec une apparence de zèle et d’amour pour l’homme, d’indignation pour le tort qu’on lui faisait), joue un rôle nouveau. Comme touché de compassion, il se balance troublé, pourtant avec grâce, et il se lève posé comme prêt à traiter quelque matière importante : au vieux temps, dans Athènes et dans Rome libre, où florissait l’éloquence (muette depuis), un orateur renommé, chargé de quelque grande cause, se tenait debout de lui-même recueilli, tandis que chaque partie de son corps, chacun de ses mouvements, chacun de ses gestes obtenaient audience avant sa parole ; quelquefois il débutait avec hauteur, son zèle pour la justice ne lui permettant pas le délai d’un exorde : ainsi s’arrêtant, se remuant, se grandissant de toute sa hauteur, le tentateur, tout passionné, s’écria :

« Ô plante sacrée, sage et donnant la sagesse, mère de la science, à présent je sens au-dedans de moi mon pouvoir qui m’éclaire, non seulement pour discerner les choses dans leurs causes, mais pour découvrir les voies des agents suprêmes, réputés sages cependant. Reine de cet univers, ne crois pas ces rigides menaces de mort : vous ne mourrez point : comment le pourriez-vous ? Par le fruit ? Il vous donnera la vie de la science. Par l’auteur de la menace ? Regardez-moi, moi qui ai touché et goûté ; cependant je vis, j’ai même atteint une vie plus parfaite que celle que le sort me destinait, en osant m’élever au-dessus de mon lot. Serait-il fermé à l’homme, ce qui est ouvert à la bête ? Ou Dieu allumera-t-il sa colère pour une si légère offense ? Ne louera-t-il pas plutôt votre courage indompté qui, sous la menace de la mort dénoncée (quelque chose que soit la mort), ne fut point détourné d’achever ce qui pouvait conduire à une plus heureuse vie, à la connaissance du bien et du mal. Du bien ? quoi de plus juste ! Du mal ? (si ce qui est mal est réel) pourquoi ne pas le connaître, puis-