Page:Milton - Le Paradis perdu, trad. de Chateaubriand, Renault et Cie, 1861.djvu/270

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qu’à présent sa main, devenue plus audacieuse, ne se porte aussi sur l’arbre de vie, qu’il n’en mange, qu’il ne vive toujours, ou qu’il ne rêve du moins de vivre toujours, j’ai décidé de l’éloigner, de l’envoyer hors du jardin labourer la terre d’où il a été tiré ; sol qui lui convient mieux.

« Michel, je te charge de mon ordre : avec toi prends à ton choix de flamboyants guerriers parmi les chérubins, de peur que l’ennemi ou en faveur de l’homme, ou pour envahir sa demeure vacante, n’élève quelque nouveau trouble. Hâte-toi, et du paradis de Dieu chasse sans pitié le couple pécheur, chasse de la terre sacrée des profanes, et dénonce-leur et à toute leur postérité le perpétuel bannissement de ce lieu. Cependant, de peur qu’ils ne s’évanouissent en entendant leur triste arrêt rigoureusement prononcé (car je les vois attendris et déplorant leurs excès avec larmes), cache-leur toute terreur. S’ils obéissent patiemment à ton commandement, ne les congédie pas inconsolés ; révèle à Adam ce qui doit arriver dans les jours futurs, selon les lumières que je te donnerai ; entremêle à ce récit mon alliance renouvelée avec la race de la femme : ainsi renvoie-les, quoique affligés, cependant en paix.

« À l’orient du jardin du côté où il est plus facile de gravir Éden, place une garde de chérubins et la flamme largement ondoyante d’une épée, afin d’effrayer au loin quiconque voudrait approcher, et interdire tout passage à l’arbre de vie, de peur que le paradis ne devienne le réceptacle d’esprits impurs, que tous mes arbres ne soient leur proie, dont ils déroberaient le fruit, pour séduire l’homme encore une fois. »

Il se tut : l’archangélique pouvoir se prépare à une descente rapide, et avec lui la cohorte brillante des vigilants chérubins. Chacun d’eux, ainsi qu’un double Janus, avait quatre faces ; tout leur corps était semé d’yeux comme des paillettes, plus nombreux que les yeux d’Argus, et plus vigilants que ceux-ci qui s’assoupirent, charmés par la flûte arcadienne, par le roseau pastoral d’Hermès, ou par sa baguette soporifique.