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LE RIDEAU LEVÉ


dépendre de lui de se transformer dans la matière que nous voyons, dont nous ne connaissons ni la nature ni l’essence ? Et ce qu’il a pu faire dans un temps, ne l’a-t-il pas pu de toute éternité ? C’en est assez, ma chère enfant, pour le présent ; quand tu seras dans un âge plus avancé, j’écarterai de tout mon pouvoir les voiles qui couvrent la vérité.

Mon père se plaisait à me faire lire des livres de morale, dont nous examinions les principes, non sous la perspective vulgaire, mais sous celle de la nature. En effet, c’est sur les lois dictées par elle, et exprimées dans nos cœurs, qu’il faut la considérer. Il la réduisait à ce seul principe, auquel tout le reste est étranger, mais qui renferme une étendue considérable : faire pour les autres ce que nous voudrions qu’on fît pour nous, lorsque la possibilité s’y trouve, et ne point faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu’on nous fît. Tu vois, ma chère, que cette science, dont on parle tant, n’est jamais relative qu’à l’espèce humaine, et si elle n’est rien en elle-même, au moins est-elle utile à son bonheur.

Les romans étaient presque bannis de mes yeux, et il me faisait voir dans presque tous une ressemblance assez générale dans le tissu, les vues et le but, à la différence près du style, des événements et de certains caractères. Il y en avait cependant plusieurs qui