Page:Mirabeau - Le Rideau levé ou l'éducation de Laure, 1882.djvu/75

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
77
LE RIDEAU LEVÉ


sances ; tout me disait ce qu’il n’osait prononcer ; je m’en aperçus, et lorsque j’en fus persuadée, j’en fis part à mon papa, avec ce ton et ce sourire qui annoncent la plaisanterie.

— Laure, je l’ai soupçonné dès les premiers instants ; ses yeux, son teint deviennent plus animés quand il est près de toi ; son air quelquefois embarrassé et toutes ses démarches le décèlent. Eh bien ! ma fille, avec cette connaissance de mon amour pour toi, que ressens-tu pour lui ?

Je ne m’étais pas encore consultée, ma chère Eugénie ; je n’avais pas fouillé dans les replis de mon âme, et croyant n’avoir pour Vernol que ce sentiment qu’on nomme amitié, je lui en parlai sur ce ton ; mais un sourire de mon père, en me demandant si c’était là tout, suffit pour me faire rentrer en moi, et je reconnus bientôt, en y réfléchissant, que la présence de Vernol m’animait, et que lorsqu’il n’était pas avec sa sœur, il me manquait quelque chose, car sans y faire attention, je demandais à Rose, avec une sorte d’empressement, ce que son frère était devenu. Je ne pouvais concevoir comment je m’étais éprise d’un tel caprice, avec lequel mon cœur était si peu d’accord. Sa figure, il est vrai, me charmait ; sa douceur et ses soins en augmentaient les attraits

À l’air de mon père, il était aisé de juger qu’il avait découvert en moi ce que je n’osais presque encore m’avouer à moi-même ; il fut