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NOTES SUR

il faudrait en conclure nécessairement que la pudeur, loin d’être un sentiment naturel et indispensable à l’homme, n’est chez lui qu’une simple vertu de convention. Cependant, je ne saurais m’imaginer qu’il ait existé sur la terre un peuple assez impudent, assez dénaturé, assez ennemi de lui-même, pour établir, de gaîté de cœur, un culte contre la décence et les bonnes mœurs. Or, le culte de Priape, que je vais décrire, n’était point indécent chez les anciens ; car ils regardaient la propagation comme un devoir trop sacré et trop sérieux pour voir dans la consécration du Phallus et du Kteis (ou des parties sexuelles de l’homme et de la femme dans leurs sanctuaires) autre chose qu’un emblème de la fécondité universelle, et ils le sculptaient jusque sur les portes de leurs temples, comme le symbole des premiers vœux de la nature.

De là ce culte de Priape, qui passa à Rome de l’Étrurie, où l’apportèrent les Corybantes et les Cabires[1]. Au rapport de Strabon et d’autres écrivains de l’antiquité, ce dieu était fils de Bacchus et de Vénus. Il naquit à Lampsaque, ville de la Troade, non loin de l’Hellespont, où sa mère l’abandonna à cause de sa difformité. On dit que, toujours jalouse de Vénus, Junon, sous prétexte de l’aider dans ses couches, toucha l’enfant d’une main perfide, au moment qu’il vint au monde, et le rendit tellement monstrueux à certaine partie de son corps, que je ne puis mieux nommer qu’en ne la nommant pas, qu’il fit tourner la tête à toutes les jolies femmes de Lampsaque : c’était à qui se l’enlèverait. Mais les maris ne se souciant guère de voir leurs fronts s’enrichir d’une coiffe que les dames distribuent si volontiers, le chassèrent de leur ville sur un décret du sénat. Priape, piqué du procédé peu galant de ces jaloux, les frappa d’une espèce de maladie qui les rendait extravagants et dissolus dans leurs plaisirs. Ces malheureux époux, doublement

  1. Vircy, Dissertation sur le libertinage, art. III.