Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/18

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dait au bourg, sur la place, devant le café Bodin, où quelques soiffards d’importance avaient accoutumé de se réunir. Du plus loin qu’apparaissait sa trogne excitée et flambante, on levait les bras, on riait.

— Ah ! c’est Barjeot !… Eh ben, sacré Barjeot, on va prendre un verre, hein ?

— Tout d’ même !

Et l’on s’attablait. Le vin blanc d’abord, puis le mêlé-cassis, le trois-six, parfois quelques absinthes. Vers dix heures, Barjeot, très éméché, redescendait la Grande-Rue en zigzaguant, et rentrait à la Gendarmerie pour déjeuner.

Le brigadier, qui ramait des petits pois, sa femme, qui étendait du linge, les trois gendarmes : l’un bêchant, l’autre taillant la haie d’épines, celui-là arrachant des scorsonères, s’écriaient en chœur, la face réjouie :

— Hé ! Barjeot… as-tu ton plumet ? Sacré farceur de Barjeot !

Or voici ce qu’un jour il arriva.

À quelques kilomètres du bourg, dans une maison isolée, près du bois de Daguenette, habitait un braconnier très connu des revendeurs et des coquetiers, très redouté des honnêtes gens. On racontait de lui de sinistres histoires, des assassinats de gardes, des coups d’audace