Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/204

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petite ait un châle de l’Inde, si elle n’a rien à manger.

— Ma fille !… rien à manger ? interrompit mon père, qui se plaça tout droit et presque menaçant devant la vieille dame, dont le visage se plissa ignoblement… Et pour qui me prenez-vous, Madame ?

Mais elle s’obstina :

— Un châle de l’Inde !… Je vous demande un peu !… Savez-vous ce que cela coûte, seulement ?

— Je n’ai pas à le savoir, Madame… Je n’ai à savoir que ceci : une chose promise est une chose promise !

Ma mère de plus en plus pâle, intervint :

— Madame !… C’est l’habitude !… Un trousseau est un trousseau !… Nous n’avons pas demandé de dentelles, bien que dans notre position, nous eussions pu exiger aussi un châle de dentelles… Mais, le châle de l’Inde !… Voyons, Madame, les filles d’épiciers en ont !… Ça ne serait pas un mariage sérieux !

La vieille dame, qui était à bout d’arguments, frappa sur le guéridon, de sa main sèche.

— Eh bien, non ! cria-t-elle, je ne donnerai pas de châle de l’Inde… Si vous voulez un châle de l’Inde, vous le paierez… A-t-on vu ?… C’est mon dernier mot !

Ma sœur dont les yeux étaient pleins de