Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/36

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en robe blanche, dans des paysages liturgiques, une branche de lis ou un rameau d’or à la main. En réalité, elle trayait les vaches, cette âme, elle crochait le fumier dans la cour, ce rêve.

Dès le lendemain du crime, je devins éperdument amoureux de Rosalie. Je songeai aussitôt à en faire ma maîtresse, mais je me heurtai à une résistance entêtée et joviale, qui exaspéra et redoubla ma passion. À chaque tentative de caresses, elle répondait par ces simples mots, qui prenaient dans sa bouche – ou plutôt dans mon imagination – la suavité d’une musique exquise et rare :

— Hé là, nout’ maît’e ; hé là, donc !

Un matin, j’étais allé la retrouver dans l’étable. Elle me repoussa en riant.

— Hé là ! nout’ maît’e ! J’ suis-t-i eune vache, qu’ vous m’ maniez de c’te force-là ? Hé là, donc !

— Voyons, Rosalie, lui dis-je, sois raisonnable… Qu’est-ce que cela peut bien te faire ?… Souviens-toi du colporteur, dans le bois…

Elle fut prise d’un fou rire. La tête renversée, se tenant les côtes, elle riait, riait, riait… Au point que les vaches étonnées tournèrent leur mufle vers elle et se mirent à meugler. Et dans ce rire acharné, grandissant, dans ce rire, pareil à un réveille-matin qui se détraque, j’en-