Page:Mirbeau - La Pipe de cidre.djvu/9

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voulez !… Voilà l’histoire de ce pauvre bougre-là… C’était, comme de juste, en 1870… Nous n’avions point encore vu de Prussiens dans le pays… mais on savait qu’ils n’étaient pas loin… Un jour, tout de même, je vais porter du fumier dans les champs… Et pendant que je déchargeais le tombereau, je vois venir de loin un homme, à cheval, qui était tout blanc, et qui avait sur la tête quelque chose qui reluisait… Je pensai : « Cet homme-là, ben sûr, est un Prussien…. Il arrive sans doute pour me tuer ». En quelque temps de galop il fut arrivé près de moi… Il arrêta son cheval, mit pied à terre… Pardi ! Il n’avait point une trop méchante figure pour un Prussien… Et le voilà qui me baragouine un tas de choses que je n’entendais point, comme de juste… Pourtant, je compris qu’il s’était égaré et qu’il me demandait son chemin… Même qu’il tira une bourse de sa culotte et qu’il me montra des pièces de monnaie… Il m’offrait sans doute de le conduire… Écoutez, messieurs, je ne suis point un méchant homme et je ne ferais pas de mal à une mouche… Mais voilà la colère qui me prend et me monte aux oreilles… C’était peut-être parce que mes deux gars étaient partis à la guerre et que je n’en avais pas de nouvelles… C’était peut-être parce que je me disais que les Prussiens allaient venir dévaster nos champs, nos maisons… Enfin, je ne