Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/222

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certainement une atténuation… car le viol, c’est encore de l’amour… On raconte un tas de choses… on se rappelle que la petite Claire était toute la journée, dans la forêt… Au printemps, elle y cueillait des jonquilles, des muguets, des anémones, dont elle faisait, pour les dames de la ville, de gentils bouquets ; elle y cherchait des morilles qu’elle venait vendre, au marché, le dimanche… L’été, c’étaient des champignons de toute sorte… et d’autres fleurs… Mais, à cette époque, qu’allait-elle faire dans la forêt où il n’y a plus rien à cueillir ?…

L’une dit, judicieusement :

— Pourquoi que le père ne s’est pas inquiété de la disparition de la petite ?… C’est peut-être lui qui a fait le coup ?…

À quoi, l’autre, non moins judicieusement, réplique :

— Mais s’il avait voulu faire le coup… il n’avait pas besoin d’emmener sa fille dans la forêt… voyons !…

Mlle  Rose intervient :

— Tout cela est bien louche, allez !… Moi…

Avec des airs entendus, des airs de quelqu’un qui connaît de terribles secrets, elle poursuit d’une voix plus basse, d’une voix de confidence dangereuse…

— Moi… je ne sais rien… je ne veux rien affirmer… Mais…

Et comme elle laisse notre curiosité en suspens sur ce « mais… »