Page:Mirbeau - Le Journal d’une femme de chambre.djvu/393

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à peu près, qui, sous des bandeaux de cheveux légèrement ondulés et très noirs, malgré des chairs amollies, comprimées dans un terrible corset, gardait encore des restes de beauté, une prestance majestueuse… et un œil !… Mazette ! ce qu’elle a dû s’en payer, celle-là !… D’une élégance austère, toujours en robe de taffetas noir, une longue chaîne d’or rayant sa forte poitrine, une cravate de velours brun autour du cou, des mains très pâles, elle semblait d’une dignité parfaite et même un peu hautaine. Elle vivait collée avec un petit employé à la Ville, M. Louis — nous ne le connaissions que sous son prénom… C’était un drôle de type, extrêmement myope, à gestes menus, toujours silencieux, et très gauche dans un veston gris, râpé et trop court… Triste, peureux, voûté quoique jeune, il ne paraissait pas heureux, mais résigné… Il n’osait jamais nous parler, pas même nous regarder, car la patronne en était fort jalouse… Quand il entrait, sa serviette sous le bras, il se contentait de nous envoyer un petit coup de chapeau, sans tourner la tête vers nous, et, traînant un peu la jambe, il glissait dans le couloir comme une ombre… Et ce qu’il était éreinté, le pauvre garçon !… M. Louis, le soir, mettait au net la correspondance, tenait les livres… et le reste…

Mme Paulhat-Durand ne s’appelait ni Paulhat, ni Durand ; ces deux noms, qui faisaient si bien accolés l’un à l’autre, elle les tenait, paraît-il, de