Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/106

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aveugles ; de l’autre côté, des violences indéterminées. La plupart — conservateurs et révolutionnaires — traitent les graves et angoissantes questions en rabâchant, sans conviction, des idées cent fois redites, et qui, depuis des temps immémoriaux, traînent dans les salons et la rue, dans les journaux et les parlottes. On dirait une réunion de concierges, potinant dans la loge, le soir.

Prenons aujourd’hui les conservateurs. Nous étudierons plus tard les révolutionnaires.

M. le baron Alphonse de Rothschild dit en fumant un mauvais cigare, sur lequel il attire l’attention de son malicieux interlocuteur :

— Mais non !… Vous vous trompez… Tout va bien, tout va très bien… La situation de l’Europe est admirable ; du moins elle n’est pas mauvaise… De temps en temps de petits krachs financiers… Et puis, tout s’arrange, tout s’arrange… Les ouvriers ?… Mais ce sont de braves gens, les ouvriers, et qui se trouvent contents de leur sort… Et pourquoi se plaindraient-ils ?… Ils sont très heureux… Ils ont tout, de bons salaires, de bons logements, même le droit de se mettre en grève, quand cela leur plaît… Ils peuvent économiser et devenir capitalistes, comme tout le monde… Que pourraient-ils demander de plus ?… Aussi, ils ne demandent rien, croyez-moi… Ils travaillent et, voyez-vous, le travail, il n’y a encore que ça… C’est le vrai, le seul secret du bonheur… Ne me parlez