Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/126

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tions disproportionnées, il s’est élevé jusque vers les plus hauts sommets de la pensée humaine. Pour peindre des êtres et des choses, il a, souvent, trouvé d’étonnantes, de fulgurantes images qui les éclairent en profondeur et pour jamais. De quels traits ineffaçables n’a-t-il point dessiné le glorieux X… et « ses réveils d’affranchi » ? Parlant d’un mauvais homme, triste et lâche, pleutre au repos, il écrit : « Cependant, quand il avait bu quelques verres d’absinthe, ses pommettes flamboyaient, au haut de son visage, comme deux falaises, par une nuit de méchante mer… » Il fait dire à une pauvre fille : « Ma vie est une campagne où il pleut toujours… ». La même, débile et malade, raconte qu’elle a frappé, presque à mort, un homme qui voulait la violer : « Quand j’ai frappé M. Chapuis, j’ai cru qu’il me poussait un chêne dans le cœur… ». Je cite de mémoire et au hasard du souvenir. Les livres de Léon Bloy fourmillent de ces choses… Il en est d’incomparablement grandes et nobles. Elles naissent, à chaque page, sous sa plume, tout naturellement et sans efforts. Il est en état permanent de magnificence. Lisez, dans la Femme pauvre, cette invocation que je trouve, sans la chercher, en ouvrant le livre :

« Je suis ton père Abraham, ô Lazare, mon cher enfant mort, mon petit enfant, que je berce dans mon Sein pour la Résurrection bienheureuse. Tu le vois, ce grand Chaos qui est entre nous et le cruel riche. C’est l’abîme qu’on