Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/140

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

prend et qu’on l’aime… Et c’est une chose très douce, je vous l’assure, de s’en aller ainsi, vers la mort, dans la lumière !

Pourtant, hier, je le trouvai triste. Souffrait-il davantage ? Avait-il des chagrins secrets ? Se fatiguait-il d’être presque toujours seul, avec soi-même ?… Était-il sincère, quand il me parlait de sa mort avec cette voix tranquille, et cette paix qui donnait à son visage pâli comme un rayonnement ?… Je l’interrogeai doucement.

— Il n’y a rien de ce que vous pensez, me dit-il avec un profond soupir. Je suis découragé, voilà tout ! Je voudrais aimer… aimer toutes les choses et tous les hommes… et voilà que je me reprends à haïr. Je ne puis plus lire un journal.

Le motif de ce désespoir me parut vraiment d’une puérilité un peu comique, et je me disposais à lui en faire l’observation respectueuse, quand il reprit :

— Je ne puis plus lire un journal. Cette lecture m’est trop pénible !… Elle me laisse dans l’âme, pour toute la journée, je ne sais quoi d’accablant, d’horriblement pesant… comme un cauchemar !

— Rien n’est si simple que d’échapper à ce cauchemar, répondis-je. Il ne faut pas lire les journaux, voilà tout ! Il ne manque pas de beaux livres, Dieu merci, que l’on peut lire et relire.