Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/159

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Mais elle lui était trop pesante, trop douloureuse. Et il ne se retrouvait heureux, il ne se retrouvait lui-même que dans les villes, parmi les hommes vivants, entre les maisons pleines de vivants !

Il aurait eu tort de maudire ces impressions d’enfance, et ce cimetière, et l’eau morte des canaux, et la courbe lente des cygnes sur les lacs endormis depuis des siècles et des siècles, et toutes ces choses où son œil d’enfant chétif, délicat et tendre apprit à déchiffrer l’énigme de la mort dans l’énigme de la vie, car son talent, si poignant et si doux, si averti et si résigné, si évocateur et si intimement humain, vient de là !… Et s’il a chanté Bruges, avec cet accent unique, ses pierres illustres et ses canons, et ses cloches, et son silence, et ses ombres humaines et ses visages lointains, et tout ce passé terrible et charmant, c’est que Bruges c’est encore de la mort, une mort blanche comme les cygnes qui dorment sur le lac d’amour, blanche comme le béguin des béguines, et comme l’âme de ces femmes que, dans les rues très anciennes, on voit aux fenêtres closes, derrière les transparents de dentelle…