Page:Mirbeau - Les Écrivains (deuxième série).djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

elles fleurissent. Et l’humanité vient les cueillir, ces fleurs, pour en faire les gerbes de joie de son futur affranchissement.

Aussi, est-ce avec un contentement profond que je vois Clémenceau, sorti de la politique active — où, en dépit de toutes ses qualités supérieures de persuasion, d’éloquence, de ténacité dans la lutte, il ne put qu’intimider la sécurité des majorités et réduire, par la peur d’une chute, l’action des gouvernements à son minimum de malfaisance — pour entrer dans la vraie et féconde bataille des idées, c’est-à-dire dans la pleine conscience de son devoir, dans l’entière liberté de ses forces rajeunies.

Artiste, philosophe, nourri par une forte culture scientifique, passionné de la vie, doué d’un sens critique très sûr et d’un enthousiasme très généreux, ayant passé son existence dans la compagnie spirituelle des plus grands penseurs de ce temps, comme Stuart Mill, dont il fut le traducteur, et Spencer, dont il est, je crois, l’ami ; instruit par de longs voyages où l’observation personnalise, en les développant, les connaissances thésaurisées, nul mieux que Clémenceau n’était préparé à devenir l’écrivain de la Mêlée sociale. Écrivain, il l’est, dans toute l’étendue que nous donnons à ce mot. Son style est bref, mais clair et vibrant. Le verbe mord âprement et profondément le cuivré de la phrase, et la pensée l’illumine. Il sait, avec des concisions hardies, en traits rapidement incisés, ex-