Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/347

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les huîtres et les chrysanthèmes. On leur donne des proportions anormales, des développements monstrueux et qui épatent la Nature… Et le bigorneau seul, parmi les êtres organisés, serait inapte à ces cultures intensives, réfractaire au progrès ?… Ça n’est pas possible. Tout entier à son idée, il en oubliait de surveiller les côtes, les déchargements de bateaux, les expériences hebdomadaires du canon porte-amarre. Aussi la contrebande ne se cachait plus, et les marins s’appropriaient les riches épaves trouvées en mer… Les temps revenaient des antiques franchises, et les âges d’or des libertés édéniques refleurissaient joyeusement dans le pays.

Une nuit qu’il avait accompagné en mer des pêcheurs, ceux-ci ramenèrent dans leur chalut le cadavre d’un homme en partie dévoré et dont les cavités thoracique et stomacale étaient remplies de bigorneaux. Les bigorneaux grouillaient comme des vers dans les chairs décomposées, ils se collaient par grappes frénétiques aux ossements verdis, occupaient le crâne décervelé, dans lequel des armées d’autres bigorneaux continuaient d’entrer, en se bousculant, par les orifices rongés des narines et des yeux. Et ce n’étaient pas de petits bigorneaux pareils à ceux, maigres et rachitiques, que l’on cueille au flanc des rochers, parmi les algues. Non, c’étaient d’énormes et opulents bigorneaux, de la grosseur d’une noix, des bigorneaux replets et ventrus dont le corps charnu débordait