Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/12

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étages et fût couverte en ardoise ; ainsi que de ce magasin, le seul du pays qui montrât, inscrite sur un fond de marbre noir, une enseigne éblouissante, aux lettres dorées et en relief. Les voisins enviaient l’air de supériorité et de confortable rare que donnaient à cette habitation luxueuse, la façade, crépie de deux tons de jaune, et les fenêtres, encadrées de moulures historiées, d’une blancheur crue de plâtre neuf. Mais ils en étaient fiers pour la ville. M. Roch n’était point, d’ailleurs, un individu quelconque, et faisait honneur au pays, autant par son caractère que par sa maison. Il jouissait à Pervenchères d’une situation privilégiée. Sa réputation d’homme riche, ses qualités de beau parleur et l’orthodoxie de ses opinions le mettaient au-dessus de l’état d’un commerçant ordinaire. La bourgeoisie fusionnait avec lui, sans crainte de déchoir, les fonctionnaires les plus importants s’arrêtaient volontiers, au seuil de sa boutique, et causaient avec lui, sur « le pied d’égalité » ; chacun, selon son rang, lui marquait l’amitié la plus cordiale, ou la considération la plus respectueuse.

M. Roch était gros et rond, soufflé de graisse rose, avec un crâne tout petit que le front coupait carrément en façade plate et luisante. Le nez, d’une verticalité géométrique, continuait, sans inflexions ni ressauts, entre des joues, sans ombres ni plans, la ligne rigide du front. Un collier de barbe reliait de sa frange cotonneuse les deux oreilles, vastes, profondes, inverties et molles comme des fleurs d’arum. Les yeux, enchassés dans les capsules charnues et trop saillantes des paupières, accusaient des pensées régulières, l’obéissance aux