Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/162

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cuteur comme un remords. Remords de quoi ? Il eût été fort embarrassé pour l’expliquer.

Pendant les heures d’étude, il ne pouvait lever les yeux de son pupitre sans rencontrer le regard du Père, posé sur lui, un regard singulier, mêlé de sourires et de langueurs, qui le mettait mal à l’aise quelquefois. Ce n’était point ce regard seul qui le gênait, c’était ce regard et tout ce qui l’entourait : une peau trop blanche, des gestes trop las, un corps de félin qui, en remuant, semblait se caresser aux angles de la chaire, au dossier de la chaise, avec de lents mouvements de chat. Qu’était ce regard ? Que voulait ce regard, trouble et brûlé, qui filtrait de douteuses lueurs entre des paupières légèrement bridées et meurtries d’une grande ombre ? Ce regard qui passait indifférent par-dessus les têtes et les dos courbés sur les devoirs, pour s’attacher à lui, uniquement, obstinément ? Ce regard si peu pareil aux autres, et si plein d’arrière-pensées, secrètes et louches ? Souvent, il détournait les yeux de ce regard qui finissait par le fasciner, l’amollir, l’engourdir de somnolences lourdes ; qui substituait à sa volonté des volontés étrangères, insinuait dans son esprit d’énervantes suggestions, dans sa chair d’irritantes fièvres, d’un caractère nouveau, presque douloureux, où sa raison s’effarait. Entre ce regard et lui, il échafaudait des murs de livres, développait des cahiers, croyant en arrêter le magnétisme, en briser le rayonnement. Mais ne le voyant plus, il le sentait davantage pesant, hardi ou frôleur, multipliant sur sa peau d’humides frissons, d’exaspérés chatouillements, où il retrouvait un peu des étranges sensations épidermiques que lui versaient