Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/191

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— Non, non… laissez-moi !

— Sébastien, mon enfant, mon cher enfant, comprenez donc que c’est impossible…

— Je comprends, je comprends… Je veux rester… Laissez-moi !

Un silence se fit. Le Père s’était levé, arpentait la chambre, soucieux. Il n’avait pas prévu cette résistance obstinée d’enfant, cet irréductible entêtement contre lequel il se butait, et qui pouvait être sa perte. Il eut la vision nette, rapide, des ennuis, des dégoûts, des scandales qui en seraient l’inévitable conséquence : les peines disciplinaires, l’exil lointain, ou l’insoumission qui le rejetterait dans les marges fangeuses de la vie. Que faire, pourtant, si Sébastien refusait de s’en aller ? Le raisonnement n’arrivait plus à cet esprit ébranlé par une commotion cérébrale, si intense, qu’elle avait brisé, en lui, le sentiment le plus persistant de l’homme, celui de la défense personnelle. Employer la force ? Il n’y fallait pas songer non plus. Les cris, la lutte, c’eût été pire encore que cette exaspérante inertie. Puis, il se reprochait amèrement cette aventure où il n’avait pas goûté les joies promises : « Je l’aurais cru mieux préparé, se dit-il. J’aurais dû attendre » L’avenir aussi l’inquiétait : « Que je le ramène !… Oui, mais demain ? Ce petit imbécile est bien capable de me livrer en se livrant soi-même. » Combien, attirés par lui, étaient venus, en cette chambre, les uns déjà pourris, les autres candides encore, et qui n’avaient pas fait ces déplorables manières ! Il se plut un instant à revoir passer, en cette ombre obscène où s’obstinait Sébastien, sur ce lit impur où la honte le retenait cramponné, la