Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/247

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Sébastien, ayant fini de conter, répétait :

— Et je dirai !… oui, oui !… je le dirai… Je le dirai à mes camarades, je le dirai au Père Recteur.

Devant la gravité de cette inattendue et irrécusable révélation, le premier instant de stupeur passé, le Père ne fut pas long à recouvrer ses esprits. Il laissa Sébastien se dépenser en cris, en menaces, en effusions tumultueuses, sachant bien qu’un abattement succéderait vite à cette crise, trop violente pour être durable, et qu’alors, il pourrait le manier à sa guise, en obtenir tout ce qu’il voudrait par le détour capricieux des grands sentiments. Chez cet homme, bon pourtant, dans les ordinaires circonstances de la vie, une pensée dominait, en ce moment, toutes les autres : empêcher la divulgation de ce secret infâme, même au prix d’une injustice flagrante, même au prix de l’holocauste d’un innocent et d’un malheureux. Si petite que fût cette petite créature, de si mince importance que demeurassent, aux yeux du monde, les accusations d’un élève, renvoyé, il en resterait toujours – même l’événement tournant en leur faveur – un doute vilain et préjudiciable à l’orgueilleux renom de la congrégation. Il fallait éviter cela, aujourd’hui surtout que la malignité publique était encore excitée par l’aventure scandaleuse d’un des leurs, surpris en wagon, avec la mère d’un élève. Cette impérieuse nécessité, cette espèce de raison d’État étouffant en lui toute émotion, toute pitié, le rendaient presque complice du Père de Kern. Il le sentait et ne se reprochait rien. Consciemment, il redevenait le Jésuite fourbe, le prêtre implacable, sacrifiant la générosité naturelle de son cœur à l’intérêt supérieur de